Alors que le numérique, pas le jeu de l’uberisation, a conduit à une automatisation des prises de décisions et de la gouvernance de projets, de plu en plus d’associations voient le jour de manière à palier cette dépendance quasi-systématique du consommateur au numérique afin de protéger les acteurs les plus vulnérables face au système : les travailleurs.

À ce titre, la plateforme CoopCycle se bat pour offrir un meilleur cadre de travail et un accès à la parole aux livreurs.ses victimes de l’essor des applications de livraison à domicile de plats cuisinés. Découvrez dans cet article la présentation du projet, ses convictions et les actions entreprises pour faire face à l’uberisation du travail.

Présentation de la plateforme

CoopCycle désigne à la fois un logiciel assurant la logistique nécessaire à une activité de livraison, une association d’une vingtaine de membres personnes physiques basée à Paris et un projet de fédération – encore informelle – de collectifs de livreur.se.s à l’échelle européenne. L’association assure les fonctions-supports pour les collectifs, via notamment la mise à disposition du logiciel leur permettant d’assurer le dispatche des commandes. D’autres services sont également en cours de mise en place : assurance mutualisée, procédure d’achats groupés, formation interne, etc.

Le projet est né en 2017 de la rencontre d’un livreur et d’un développeur. Après avoir lancé le développement du logiciel, de nouveaux membres ayant des compétences diverses (expertises en économie, droit social, etc.) autour du logiciel, se sont unis au projet et ont aidé au développement de nouveaux services.

Aujourd’hui, le projet rassemble environ 30 collectifs basés en France, Belgique, Espagne, Allemagne et Royaume-Uni. Animée par des valeurs de partage et de collaboration, l’association est également très investie au sein de la Coop des communs, une plateforme favorisant la co-construction d’un écosystème favorable à l’éclosion de communs et au sein de laquelle les membres portent la réflexion sur la licence comme moyen de valorisation du travail des communs.

CoopCycle, des valeurs fortes traduites directement dans la gouvernance

L’association est reconnue dans l’univers des communs pour son adhésion à des valeurs fortes. En effet, l’adhésion à l’association, comme au projet de fédération européenne, est soumise au respect d’une charte de valeurs co-construite par les membres à l’échelle de l’association puis à l’échelle du projet de fédération. De ces valeurs fortes découle une gouvernance où toutes les décisions passent par un vote à la majorité des membres, que ce soit au niveau de l’association comme de la fédération, mais la recherche du consensus est toujours privilégiée. Plus spécifiquement, les réunions hebdomadaires de l’association sont soumises à des règles inspirées de Nuit Debout – à savoir, un ensemble de manifestations animées sur des places publiques – qui vise à garantir à chacun un droit à la parole (tour de parole, pas d’interruption, etc.).

Au niveau de la fédération, la structuration et la gouvernance sont encore balbutiantes, mais déjà empreintes des mêmes exigences démocratiques. Ainsi, chaque décision est soumise à un vote au cours duquel chaque collectif-membre dispose d’une voix. Par exemple, le principe d’un financement du commun (les services mutualisés) par cotisations des membres a été adopté selon cette modalité. Selon la même logique, toutes les ressources sont gérées en commun par l’ensemble des collectifs, avec toujours la recherche du consensus et d’une information la plus complète possible de toutes les parties prenantes.

Les communs numériques comme alternative à l’uberisation du travail

Pour CoopCycle, il s’agit moins de concurrencer les géants du secteur de la livraison à domicile que de proposer une alternative plus responsable, sur le plan social notamment. En effet, il n’est pas logique de chercher à concurrencer une activité qui n’est pas rentable et dont les opérateurs ne survivent que grâce à des levées de fonds successives. Au contraire, le projet se veut plutôt porteur d’une alternative offrant de meilleures conditions de travail aux coursiers, bien que cela entraîne un coût final plus élevé pour le consommateur.

Cette volonté explique aussi le choix d’une licence restrictive quant à l’usage commercial du logiciel, réservé aux structures à fonctionnement coopératif. Cela ne vise pas à protéger le logiciel des plateformes déjà installées, mais plutôt à éviter la reproduction de leur modèle économique sur la base du logiciel CoopCycle par de nouveaux arrivants sur le marché.

Cette ambition d’être porteur d’une alternative se traduit aujourd’hui par l’orientation des développements logiciels vers d’autres activités que la livraison de repas à domicile, et par la mise en place de partenariats avec des collectivités territoriales, notamment celle de Seine-Saint-Denis. Ce positionnement est sans doute à la base du succès que connaît aujourd’hui le projet, et ce en partie grâce à un rayonnement international depuis Paris – où est basée l’association – et Bruxelles territoire de la première coopérative ayant déployé le logiciel. Ce rayonnement est sans nul doute majoritairement influencé par la communication réalisée autour du projet – au travers de conférences, ateliers, etc. – mais aussi par l’intérêt médiatique qu’il suscite. Chaque article de presse qui lui est consacré oriente vers CoopCycle à la fois de nouveaux livreurs et livreuses désireux de s’émanciper des plateformes actuelles en créant leur propre coopérative, et des coopératives déjà structurées qui trouvent un intérêt à rejoindre le projet (par exemple pour : retrouver la propriété sur leur outil de travail et participer à sa gouvernance, bénéficier des services mutualisés, participer au geste politique, etc.).

Le projet connaît une croissance forte demandant de plus en plus d’investissements et pour le moment l’association bénéficie de deux types d’investisseurs, à savoir : 

  • des collectifs de livreurs.ses, via un système de cotisations (dans une logique d’entretien et de préservation du commun) ;
  • des collectivités publiques via des subventions attribuées à la suite d’appel à projet.

De plus, la valeur générée bénéficie toujours aux livreur.ses : de manière directe (bénéfice leur permettant de se financer, etc.) ou indirecte par le biais des services mutualisés mis en place au niveau de la fédération, au travers par exemple, de la création prochaine d’un poste salarié dédié au développement du logiciel.

CoopCycle, un logiciel qui sort de l’Open Source

Si CoopCycle se positionne en dehors des définitions du Libre et de l’Open Source, ses membres assurent que cela ne traduit pas une opposition frontale à ces mouvements, mais vient plutôt souligner une faiblesse du modèle – que le projet n’est malheureusement pas seul à constater – à savoir une captation de la valeur générée par la ressource sans réelle contribution en retour.

De plus, le projet se trouve actuellement dans une situation particulière : les personnes intéressées par l’usage de la ressource n’ont que rarement les compétences nécessaires à son développement et son maintien, et inversement. Le recours à une licence libre avec copyleft – c’est-à-dire rendre une œuvre libre et obliger tous ses dérivés à l’être également – ne saurait être, du fait de cette situation, un dispositif suffisant pour assurer son maintien et son développement. Il a donc fallu réfléchir à un autre cadre juridique afin d’assurer la pérennité du commun CoopCycle.

La réflexion sur l’amélioration du cadre de collaboration autour du commun qu’est le logiciel se poursuit. Le choix de Decidim d’adosser l’usage de sa marque à un code social tout en gardant le logiciel sous licence libre fait partie des pistes de réflexions explorées, et ce d’autant plus que l’adhésion à la fédération est déjà soumise au respect d’une charte de valeurs, le modèle serait ainsi facilement transposable.Toutefois, le choix d’une licence commercialement restrictive a été motivé par la volonté d’empêcher la captation de la valeur de ce commun par des entreprises n’ayant pas comme motivation l’amélioration des conditions de travail des livreur.ses. Et l’adoption d’une licence Open Source classique ne permettrait plus d’assurer cela.

En tout cas, la réflexion menée par CoopCycle se poursuit en dehors du cadre de l’association, puisque c’est actuellement un des sujets majeurs de discussion au sein de la communauté Plateformes en communs, le regroupement des acteurs des plateformes collaboratives créé par la Coop des communs.

Et la suite ?

Le projet à encore de nombreuses voies d’évolution. À court-terme, CoopCycle souhaite instaurer la mise en place du système de cotisation au sein de la fédération et la mise en place d’un cadre juridique pour celle-ci. À moyen-terme, l’association parisienne aspire à se fondre au sein de cette fédération, et que des livreurs.ses en assurent les fonctions exécutives.

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