La transformation Numérique ne doit pas s’apprécier à l’échelle d’une organisation, mais d’un écosystème : l’exemple d’Open Law, une initiative à la confluence des Legal Tech, Civic Tech et Reg Tech

Par Benjamin Jean, coFondateur et président d’Open Law, le Droit Ouvert

Lancée il y a maintenant un peu plus de trois ans sous l’impulsion de la DILA, d’Etalab, de l’OWF et de la NUMA, l’initiative « Open Law* Le droit ouvert » témoigne d’une prise en compte croissante de la place et du rôle du numérique et des modèles ouverts dans tous les pans de notre société.

À l’origine, un défi

Le plus grand défi relevé par Open Law fut ainsi d’avoir réussi à accompagner, tantôt facilitateur tantôt chef d’orchestre, la « transformation numérique » d’un secteur complexe et aux multiples facettes. Cela ne pouvait se faire qu’en traitant ce sujet à une échelle globale et en lui assortissant une forte connotation d’ouverture et de collaboration. La démarche repose sur deux postulats relativement simples : le premier étant que l’innovation se développe à une vitesse telle que seule une réponse à la fois collective et inclusive peut être efficace ; le second étant que la solution contre Google ne peut être un nouveau Google, pas plus que la réponse à Uber ne serait être un nouvel Uber. Il faut donc dépasser cette vision traditionnelle de l’innovation, stérile et coûteuse, pour imaginer d’autres modèles viables et pérennes en s’inspirant des modèles tels que l’Open Source ou l’Open Data : mutualiser tout ce qui peut être fait ensemble, favoriser les opportunités plutôt que l’exclusivité et introduire les concepts des communs dans un contexte industriel. Tous les acteurs bousculés par le numérique ont donc progressivement rejoint cette initiative collective.

Pour ce faire, Open Law s’est donné comme mission d’accompagner une innovation ouverte, inclusive, collaborative et éthique. Toutes les productions réalisées sont ouvertes, c’est-à-dire qu’elles doivent profiter à tous, sans limites, afin de renforcer la confiance et favoriser la convergence des actions. La démarche est inclusive, car elle doit pouvoir permettre à tout moment et à tout le monde de prendre part aux projets, et elle est collaborative en ce qu’un projet ne peut être soutenu que s’il est porté par plusieurs acteurs afin d’assurer un bénéfice général et non individuel. Enfin, l’innovation produite doit être éthique, afin de ne pas entacher les valeurs attachées au droit et à la justice. Inutile ainsi d’adhérer à l’association, à un consortium ou à toute autre structure pour participer et profiter de ces travaux.

Open Law s’est, ce faisant, rapidement forgé une solide réputation tant parmi les acteurs traditionnels qu’au sein des communautés en plein essor des Legal Tech – le numérique pour l’accès au droit et à la justice –, Civic Tech – le numérique pour la participation civique – et Reg Tech – le numérique à l’appui de la conformité aux règles juridiques et réglementaires. C’est donc à la croisée de ses mondes, mêlant acteurs traditionnels et nouveaux entrants, que notre action a favorisé la production d’un nombre croissant de ressources communes destinées à profiter au plus grand nombre. Tirant profit des forces du numérique, ces ressources se sont révélées parfaitement transverses et ont constitué autant de ponts entre des secteurs auparavant relativement cloisonnés : l’ouverture et la collaboration produisent ainsi leurs bienfaits autant d’un point de vue horizontal que vertical.

L’accueil naturel des acteurs de la Legal Tech

Le champ des Legaltech regroupe toute organisation qui fait usage de la technologie pour développer, proposer, fournir ou permettre l’accès des justiciables ou des professionnels du droit à des services facilitant l’accès au droit et à la justice. Cela renforce l’évolution naturelle des praticiens du droit pour qui l’automatisation d’un nombre croissant de tâches « peu qualifiées » favorise une augmentation de la qualité de service : le collaborateur d’un cabinet produit aujourd’hui ce que faisait hier un associé, et cela se renouvellera demain. L’essor des Legal Tech est néanmoins venu bouleverser le secteur du droit en apportant de nombreuses innovations en termes de produits, de services, mais aussi de modèles économiques. Cette disruption n’a pas été sans provoquer quelques heurts entre les différents acteurs, certaines professions percevant – à tort ou à raison – le phénomène comme une menace à la pérennité de leurs activités. Des animosités se sont cristallisées entre professions réglementées et nouveaux acteurs dans un nouvel environnement parfois perçu comme en voie de « dérégulation sauvage », d’« ubérisation », voire tout simplement comme un terrain de « braconnage 2.0. »

C’est dans ce contexte que l’association Open Law a ouvert la discussion entre tous ces acteurs au travers de méthodes d’ouverture, d’échange et de cocréation. L’un des fruits particulièrement intéressants de cette collaboration est la rédaction d’une « Charte éthique, pour un marché du Droit en ligne et ses acteurs » : fédérant aujourd’hui plus d’une centaine de signataires, incluant des personnes publiques, des entreprises privées, des professions réglementées, et des start-up du numérique (http://charteethique.legal/ ). Un tel effort a été d’autant plus apprécié qu’il était accompagné d’une multitude de projets concrets réalisés entre ces mêmes acteurs sous forme de programmes d’innovation – sur l’économie numérique du droit et sur la formation du juriste de demain – et de cycles d’expérimentation – sur l’interprofessionnalité, le legal design, les smart contracts et la Blockchain. Dans le même esprit, Open Law a mené son programme « IA & Droit », en partenariat avec la Cour de Cassation et la CNIL, afin de rendre accessible au plus grand nombre les algorithmes, technologies et données permettant d’intégrer le Machine learning dans le champ du droit.

L’accompagnement des acteurs de la Civic Tech

Autre secteur émergeant de la transformation numérique du droit, éminent en ce qu’il contribue à son élaboration, celui de la Civitech. Il vise à favoriser les technologies dont l’objectif est de renforcer la transparence de l’action publique, la participation citoyenne à l’élaboration des politiques publiques, la responsabilité des acteurs publics et leur devoir de rendre des comptes, ainsi que l’utilisation des solutions numériques pour atteindre ces objectifs et stimuler l’innovation démocratique. Cette dynamique s’est fortement développée ces dernières années, notamment grâce à l’action du « Partenariat pour un Gouvernement Ouvert » (OGP), une démarche initiée le 20 septembre 2011 par Barack Obama dont la France a pris la présidence en 2016. Nous pûmes ainsi assister fin 2016 à un momentum relativement puissant grâce auquel ces différents sujets, relativement proches des thématiques d’Open Law, furent développés dans une approche relativement ouverte et collaborative. À noter qu’un nouvel élan semble naître des liens étroits noués entre la France et le Canada, ce premier prenant la présidence de l’OGP en 2018.

C’est dans cet esprit qu’a été initié le projet Open Democracy Now en janvier 2016, afin de rassembler une communauté d’acteurs aux profils complémentaires et désireux d’apporter des solutions concrètes aux enjeux d’une démocratie plus participative et collaborative. Conjointement organisée aux côtés de OGP Toolbox, Etalab, l’Agence du Numérique, DemocracyOS France, Open Source Politics, Les Bricodeurs, Democracy Earth, République Citoyenne, elle a vocation à être construite sur la durée, portée par plusieurs projets développés pendant une série de hackathons tout au long de l’année. Focalisés sur le développement et l’usage d’outils open source pour la concertation publique en ligne et l’élaboration collaborative de la loi, les différents projets partagent des valeurs structurantes : l’ouverture, la transparence, l’accessibilité, la réutilisation. De premiers résultats très encourageants ont été présentés fin 2016 lors du Paris Open Source Summit et du Sommet mondial du Partenariat pour un Gouvernement Ouvert à Paris. Toujours dans une démarche de « soft law », c’est-à-dire un ensemble de règles non contraignantes produites par ceux qui s’y soumettent et faisant figure de code de conduite, nous avons initié la rédaction d’une « Charte Éthique pour la confiance dans les démarches de participation numérique » qui sera présentée en décembre 2017 lors de l’Open Source Summit.

L’extension progressive aux acteurs de la Reg Tech

 

Et maintenant ? C’est enfin logiquement sur le segment de l’application du droit en vue de la mise en conformité des pratiques au sein des organisations – la compliance – que nos activités se déclinent. La réglementation étant de plus en plus complexe et lourde, c’est précisément la question du traitement de données de masse qui est à l’origine de l’émergence de la « Regtech ». Les premiers acteurs à s’être mobilisés pour trouver les solutions technologiques permettant de résoudre les problématiques liées à la confrontation avec un cadre réglementaire contraignant et évolutif, sont les institutions financières, à commencer par l’AMF elle-même souvent empêchée dans ses prérogatives par un manque de lisibilité préjudiciable à l’intégration des normes dont elle a la charge de l’application. C’est donc au sein de la « Fintech » que sont nées de nouvelles applications à l’intelligence artificielle, afin de gérer au mieux la compliance de ces organismes et de rationaliser des procédures souvent externalisées et coûteuses, notamment en termes de gestion de risques (contentieux et redressements). L’augmentation de la masse de données augmentant corrélativement le risque de non-conformité, l’approche du big data par le smart data et notamment le dataviz, s’impose progressivement dans les process internes des acteurs concernés.

Née du constat que « nul n’est censé ignorer la loi » (et partant, sa réglementation) l’association Open Law, œuvre comme une plateforme visant à interfacer favorablement les organismes d’État et les agences de régulation en phase avec les acteurs concernés, afin de réduire les risques de mauvaise compréhension ou d’interprétation des réglementations existantes. Les récents développements de ses programmes IA & Droit ou Legal Design sont particulièrement adaptés à ces enjeux visant à extraire des données de la manière la plus agile qui soit la bonne information et la bonne analyse juridique. Les objectifs d’accessibilité du droit (premier programme de l’association) et de prédictibilité s’appliquent donc particulièrement à ce domaine. L’actualité de la très prochaine mise en œuvre du Règlement Général sur la Protection des données (RGPD) impose à toutes les organisations une transformation rapide en termes d’outils et de culture interne de gestion des données à caractère personnel. Notons à cet égard l’effort particulièrement intéressant de la CNIL en la matière qui vient de publier PIA (pour Privacy Impact Assessment) un logiciel multiplateforme et open source pour accompagner les entreprises dans leur phase d’adaptation au RGPD. Ces sujets seront notamment développés le 5 décembre 2017 lors de la conférence EOLE qui abordera le sujet de la conformité (Open Source, Open Data, données privées, ITAR, etc.) sous le prisme de la mutualisation, c’est-à-dire en identifiant ce qui peut être commun à toutes les organisations pour favoriser le respect de réglementations. La période est assez propice à tous ces changements : les organisations parce qu’elles y voient plus de sécurité ; le gouvernement, car il favorise ainsi le respect de ses normes. Ces sujets seront d’autant plus prégnants demain que les langages naturels – la Loi ou la jurisprudence – et formels – le code – sont réciproquement attirés et que l’on voit de plus en plus de projets visant à rapprocher ces mondes au travers de deux écoles qui se rejoignent : la première laissant « apprendre » le langage naturel par les programmes (machine learning), la seconde choisissant d’ « écrire » la Loi dans un langage formel directement interprétable par de tels programmes.

Et maintenant ?

En conclusion de ces rapides développements, l’on sent bien que l’innovation innerve aussi bien le fond que la forme et qu’il est important de souligner la méthode et les valeurs qui sous-tendent l’orientation qualitative de tous les projets soutenus et portés par Open Law. Les modèles ouverts sont intrinsèques au numérique et sont, à une heure où le numérique revêt une place centrale, les charnières de l’innovation de demain : ouverte, collaborative, inclusive et éthique. À l’instar des autres années, nous profitons du rendez-vous annuel de l’Open Source Summit pour présenter toutes ces thématiques lors du « Village de la Legal Tech » : un événement coorganisé avec le Village de la Justice qui réunit de nombreux exposants (dont institutions publiques) et un étage de conférences et ateliers pour parler de tous les thèmes déjà évoqués : IA et droit ; Smart Contracts et Blockchain ; Legal Design ; Charte Éthiques ; interprofessionnalité ; etc.

Tout cela est ouvert, n’hésitez pas à nous rejoindre !

Photo by pine watt on Unsplash

Posted by bjean