Cet article a été rédigé par Gabriel Plassat (Fabrique des Mobilités) et publié initialement sur le blog de la Fabrique des Mobilités, mis à disposition sous licence CC BY 4.0.
Inspirer et faire alliance permet d’être plus fort, d’aller plus vite, avec moins de ressource. Dans un monde Vulnérable, Incertain, Complexe et surtout Ambigu, encore faut-il savoir le faire. Cet article est la suite du N°1.
Les objets liens
Les principales caractéristiques de l’objet lien sont la réflexivité (il permet à la communauté de se voir faire et progresser collectivement), l’angularité (il se présente pour que chaque acteur puisse exprimer son potentiel, individuellement), l’adhésion (il conduit les acteurs à collaborer autour de lui et à inviter d’autres acteurs) et la capitalisation (il progresse et s’améliore lui-même ou les parties prenantes). Les objets liens sont essentiels dans des écosystèmes industriels pour augmenter les frictions et les interactions, faire émerger des projets. En introduisant des objets liens ouverts et documentés, les barrières à l’entrée s’abaissent pour les nouveaux venus. Il devient plus simple et rapide de tester son idée auprès de ses pairs en s’appuyant sur ces ressources. En théorie, nous devrions veiller à une totale « équipotentialité » d’accès : toute personne motivée devrait pouvoir accéder à toutes les ressources. Chacun peut alors s’inviter dans les communautés qui l’intéressent, y contribuer et produire à son tour. Plus les objets liens sont ouverts, plus ils peuvent être utilisés donc renforcés et améliorés, augmentant à leur tour leurs attractivités.
Progressivement, les objets liens et le dispositif associé qui en facilite l’usage deviennent une plateforme contributive.
La Fabrique devient une plateforme qui fonctionne en offrant des ressources, qui capte une partie des externalités générées par l’activité des acteurs sur la plateforme, mais qui les redonne aux mêmes acteurs sous la forme de nouveaux objets liens et de contenus.
« L’utilisation de la ressource partagée par les membres d’un commun numérique est anti-rivale. La non-rivalité induit que l’utilisation de la ressource par un individu n’empêche pas son semblable d’en profiter, tandis que l’anti-rivalité signifie que les Individus utiliseront d’autant plus la ressource qu’elle est déjà utilisée ». Pour H.Verdier, les communs constituent un contre-pouvoir performant face aux plateformes numériques dominantes et des alliés pour les Etats.
Nous pensons aussi que ces mêmes mécanismes s’appliquent pour les écosystèmes industriels que le numérique transforme aujourd’hui (lire E.Musk as a Platform). En créant des espaces protégés et neutres comme autant de jardins à la fois ouverts et fermés, les pouvoirs publics accompagnent ainsi l’émergence d’une multitude de communautés et d’objets liens (données, logiciels et matériels) tout en amplifiant les contributions qui s’y déroulent.
Quelles stratégies autour des objets liens, des communs ?
« Il est d’une importance suprême dans la guerre d’attaquer la stratégie de l’ennemi. » – Sun Tzu, L’Art de la Guerre.
C’est bien là le noeud de l’open source, open innovation ou encore des communs. Il ne s’agit pas d’être ouvert, sympa, d’en faire de la comm. Il s’agit d’avoir une stratégie. Sans stratégie d’alliance, de conquête, de contre-attaque, tout cela n’est que du folklore. Certains acteurs industriels ont déjà compris que seuls, ils ne pouvaient plus lutter contre les plateformes numériques dominantes. La théorie de Peter Thiel se révèle juste pour le moment. Une fois la plateforme en position, elle domine grâce à des mécanismes dits à rendement croissant (lire Constructeurs, vos plateformes brûlent). Les alliances industrielles doivent donc elle-même mettre en œuvre des plateformes contributives numériques pour fournir à une multitude de parties prenantes les briques nécessaires à l’innovation et catalyser ces innovations distribuées. Ce n’est plus une option. Trois exemples :
En lançant récement OpenAI, Elon Musk a pour objectif de créer la plateforme dominante en matière d’Intelligence Artificielle. Compte tenu de l’engagement actuel de Google, Facebook et Microsoft, Musk choisit l’Open pour aller vite, nouer des alliances, rendre utilisable les productions pour le plus rapidement possible. Il s’agit de faire de cette plateforme la plus performante pour empêcher les autres d’être au centre. L’Open peut remplir rapidement un espace aujourd’hui vide et à conquérir, pour éviter que d’autres ne le fassent. « Mieux vaut Open qu’un concurrent ». Pour s’engager dans cette voie, n’est pas E.Musk qui veut. Il faut être crédible et constituer un socle de partenaire qui créeront la masse critique pour, peut être, devenir la plateforme.
D’une autre façon, Andy Rubin veut réitérer Android et placer ses futurs standards de l’IA dans tous les objets. Pour cela son plan est précis, ouvrir un accélérateur dédié, financer les meilleurs mentors pour placer dans tous les projets les « communs » de l’IA version A.Rubin. Puis, après avoir atteint une masse critique, là aussi ouvrir la plateforme pour créer les standards devenus dominants. Prendre la place avant les autres. Et aujourd’hui, l’ouverture est la meilleure solution. « L’Open comme marche pied de futurs standards mondiaux ». Mais là aussi, n’est pas Andy Rubin qui veut. Etre en contact avec les meilleurs spécialistes de l’IA, avoir réussi à les faire adhérer à la stratégie et construire le plus grand accélérateur de startup dédié à l’IA.
Transdev et sa Digital Factory, s’engage dans la création d’une base de données Open Data Transports à vocation mondiale, un Hub. Créer la plateforme de référence dans le domaine pour permettre aux entrepreneurs de gagner du temps, accéder à des données de qualité, standardiser leur travail. Se faisant, la plateforme – objet lien – révèle des talents, des projets, et permettra, avec une certaine masse critique, d’être incontournable. Pour garantir l’équipotentialité d’accès, Transdev cherche des alliances et placera l’Open Data Hub auprès d’un acteur neutre et crédible qui en assurera la gouvernance et la progression. Nombreux sont les acteurs européens qui ont intérêt à faire émerger l’Open Data Hub. Là aussi, « l’Open comme stratégie de conquête pour rivaliser avec les plateformes numériques mondiales ».
Aligner les forces créatrices
Il y a donc un alignement entre des intérêts industriels qui souhaitent faire levier des objets liens pour exécuter leur stratégie et des objectifs collectifs pour exploiter ces nouvelles ressources. La Fabrique se donne pour mission de rechercher ces alignements pour faire émerger, indexer et donner accès aux objets liens, les développer, les protéger et amener dix fois plus de projets dans le secteur des mobilités durables.
Pour faire face aux plateformes numériques des GAFA, les industriels européens de l’automobile et des transports ne peuvent pas négliger des stratégies qui passent par l’open source, les communs et les objets liens. Vous maîtrisez les plateformes véhicules, engagez vous dans des plateformes contributives ouvertes.
La Fabrique place au cœur de son développement ce sujet en le travaillant sur les trois niveaux (données, logiciel, matériel), avec plusieurs communautés (lien vers le wiki), en s’appuyant sur plusieurs évènements comme AUTONOMY ou encore le Paris Open Source Summit. De ces échanges vers l’objet lien et entre les parties prenantes via l’objet lien, vont se construire à travers les versions, un langage, puis une culture commune.